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Gorizia, avant et après la fracture

Par Giovanni Vale


Avant d’arriver à Gorizia en 2006, je ne connaissais pas cette petite ville frontalière. A la rentrée, au début de l’automne, je m’installais alors dans la maison des étudiants, un bâtiment blanc et tout juste rénové à quelques pas de la faculté de sciences diplomatiques. De Gorizia, je savais seulement que suite à la deuxième guerre mondiale, le rideau de fer avait coupé la cité en deux et que, depuis, la douane se situait pratiquement en plein centre-ville. Dans les livres d’histoire, sur la Guerre froide, on en parlait comme d’une “petite Berlin”, où la géopolitique internationale avait fini par diviser les jardins et les cimetières et s’introduire dans le quotidien des habitants.


Mais, entre les cours, les amis et la découverte de ces nouveaux espaces, mes journées ne souffraient pas du passé de la ville, d’autant plus qu’en 2006, la Slovénie faisait partie de l’Union européenne depuis déjà deux ans. A la piazza Transalpina, le petit mur en béton, qui avait longtemps divisé la place, avait été démoli. Et seule une plaque commémorative indiquait sur le sol l’endroit où, entre 1947 et 2004, avait commencé le “bloc de l’Est”. Certains d’entre nous y allaient pour se photographier, un pied en Italie et l’autre en Slovénie. Etudiants, nous traversions les confins presque quotidiennement, certains pour faire le plein d’essence (moins cher côté slovène), d’autres pour tester l’émotion des casinos (illégaux en Italie) ou encore pour arpenter à bicyclette les douces collines des alentours. On serpentait la frontière dans tous les sens, sous le regard indifférents des douaniers ennuyés.


Le 21 décembre 2007, cette fracture qui avait caractérisé Gorizia durant un demi-siècle a disparu officiellement : la Slovénie rentrait dans l’espace Schengen. Ce soir-là, à la “casa rossa”, l’édifice dans lequel logeaient les douaniers italiens, une grande foule s’est rassemblée pour suivre le démantèlement symbolique de la barrière blanche et rouge. Entourés par les journalistes de deux pays, les habitants de Gorizia et de “Nova Gorica” (la ville jumelle slovène) étaient en fête. Emus, ils racontaient des anecdotes qui remontaient à 40 ou 50 ans. Un vieil homme s’amusait à se rappeler le jour où il lança un ballon de l’autre côté, et comment il eut peur d’aller le récupérer…


Aujourd’hui, je réside à Zagreb en Croatie et je passe souvent par Gorizia lorsque je rentre en Italie. Et si je ralentis à l’approche du poste de contrôle rouge, c’est seulement parce qu’il marque aussi le début du centre-ville. Je n’ai plus l’occasion de flâner dans les magnifiques collines du Collio (le “Brda”, en slovène), mais je suis certain que d’autres étudiants partent encore à la recherche de meilleurs “osmize” (osmice), ces endroits intemporels où les agriculteurs locaux vendent leur vin et leurs produits de saisons. Comme l’Isonzo, la rivière qui zigzague depuis toujours entre Italie et Slovénie, ces étudiants en vélo sont désormais libres de descendre à toute vitesse et sans s’arrêter les buttes vertes de Gorizia.

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